En 1897, la dernière année de sa vie, alors qu’elle souffrait immensément à la fois physiquement et spirituellement, Thérèse déclare : « Cette année, le Bon Dieu m’a fait la grâce de comprendre ce qu’est la Charité ». Jusqu’à présent, elle avait le désir d’aimer Dieu comme il désirait être aimé. Maintenant, elle découvre que le second commandement est semblable au premier, que l’Amour de Dieu nécessairement embrasse l’amour du prochain. Auparavant, elle avait aimé les autres, ses écrits l’attestent, quelque chose de nouveau s’ajoute alors. Le fait d’aimer le Seigneur non plus avec son amour limité mais avec l’amour incréé de Dieu lui-même la pousse à faire une singulière application à son amour des autres. Le Christ lui-même commandait que notre prochain soit aimé de la même manière que Lui-même nous aime. Jésus nous a aimés en s’abaissant et en venant à nous.

« O mon Dieu, vous ne nous commandez jamais rien d’impossible et cependant vous savez combien je suis faible et imparfaite ; si vous me dites d’aimer mes sœurs comme vous les aimez vous-même, cela veut dire que vous-même voulez les aimer à travers moi ».

Jésus doit alors intervenir directement pour que Thérèse puisse exécuter son commandement. Le résultat : « Toujours quand je suis charitable c’est Jésus qui agit en moi ; plus je suis unie à Lui plus aussi j’aime toutes mes sœurs ». Il ne s’agit que d’une autre conséquence de son appropriation du Divin Amour. Thérèse a dû aussi affronter le problème de l’éternité de l’Amour. Pour elle, l’éternité était toujours la « réalité » ; cette vie terrestre étant une ombre, un exil, une nuit. Mais, comme pour d’autres points de sa doctrine, dans ce domaine encore elle approfondit sa compréhension au cours des années. Au commencement, le Ciel était son but principal pour le bonheur que Jésus lui donnerait à elle, sa bien-aimée. Mais un autre désir a commencé à s’insinuer en elle ; tout d’abord secrètement puis plus tard ouvertement : « Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre. »

Les Derniers Entretiens nous donnent l’explication la plus claire de ses désirs : « Je sens que je vais entrer dans le repos, mais avant tout, je sens que ma mission va commencer, ma mission de faire aimer le Bon Dieu comme je l’aime, de donner ma petite voie aux âmes. Si Dieu entend mes désirs, mon Ciel se passera sur la terre jusqu’à la fin du monde. Oui, je désire passer mon Ciel à faire du bien sur la terre. Je ne désire pas me reposer tant qu’il y a des âmes à sauver. Mais quand l’ange aura dit : ‘Le temps n’est plus’, alors je me reposerai… »

Reconnaissante pour l’Amour de Dieu déversé sur elle avec tant d’abondance, Thérèse ne peut le garder enfermé dans son cœur. Elle doit le partager avec les autres. Elle doit alors guider les âmes à aimer Dieu comme elle a appris à L’aimer, elle, c’est-à-dire avec l’Amour infini de Dieu lui-même. Thérèse peut atteindre les autres parce qu’elle a transcendé ses propres capacités et a assumé celles de l’Amour qui est éternel. Elle est maintenant convaincue que le ciel ne peut être une séparation égoïste du monde. Si le Verbe incarné nous montre le visage de Dieu comme le Bon Berger, comme le Rédempteur qui a donné jusqu’à la dernière goutte de son sang, pour les siens, alors elle a en conclusion prouvé que Dieu qui est Amour se penche vers les hommes. Voilà l’Amour que Thérèse s’est approprié et qui fait qu’elle doit être tout occupée par le vrai bonheur des hommes. Il n’y a donc pas de repos pour Thérèse : le ciel doit être une activité constante dans l’accomplissement du nouveau commandement. L’amour devient très fructueux et ne sera pas en paix jusqu’à ce que le temps en soit plus. Telle a été la vision finale et définitive de Thérèse.

 

  1. Redemptus V., O.Carm