Antonina, le 21 mai 1969, tu débarquais à Paris en provenance de Nouméa. Tu venais pour ta formation spirituelle et missionnaire en France, puis en Belgique et à Rome, et te préparer à ton Offrande à l’Amour Miséricordieux de Dieu. Raconte-nous.  

Je me souviens qu’à mon arrivée à Paris, j’ai été accueillie par le père M. Roussel-Galle et ma première visite a été au Sacré Cœur à Montmartre. Quelques jours plus tard, je prenais le train pour la première fois et je me rendais à Banneux en Belgique pour la Pentecôte. J’y ai découvert le message de la Vierge des Pauvres.. c’était beau, toutes ces chapelles, tous ces drapeaux représentant toutes les nations, le Rosaire à 19h que l’on récite en refaisant le chemin de la Sainte Vierge avec Mariette, jusqu’à la Source… Et puis, le 1er juin, je reprenais le train cette fois-ci en direction de Lisieux où des TM de l’Immaculée étaient en retraite avant leur Offrande à l’Amour Miséricordieux de Dieu. C’est beau Lisieux ! Je me sentais très gâtée, mais je me disais que je n’étais qu’au commencement car avec Jésus (rire), l’adage « Qui aime bien chatie bien » fonctionne toujours.    

Qu’est-ce qui a motivé tes premiers pas chez les TMI ?

Depuis l’âge de 13 ans, je me disais intérieurement que je serai comme la jeune religieuse qui m’a accompagné durant ma retraite de confirmation. Et toujours ce grand désir m’habitait.

A 17 ans, j’avais une telle soif de vivre ! Un jour, une amie m’a parlé des « Sœurs Françaises, sans costumes religieux ». Une autre fois, ce fut mon grand oncle prêtre qui me fit rencontrer des carmélites cloîtrées. Mais moi, j’envisageai une toute autre vie, ayant plusieurs beaux prétendants. Comment discerner quand l’âme est dans l’embarras ? C’est alors que je fis un rêve dans lequel, je me voyais monter les marches de l’autel pour atteindre le tabernacle dans la cathédrale de Nouméa. Soudain, le tabernacle s’ouvrit, laissant apparaître une lumière d’une blancheur intense. Des rayons sortaient du tabernacle, et là, je vis le père fondateur des TM de l’Immaculée, vêtu d’une chasuble blanche qui me dit : « Quitte tout, viens et suis moi ». Lorsque je me réveillai, pour moi, c’était clair ! Dans mon rêve, il y avait quelque chose de mystérieux et de sacré. À 18 ans, j’ai quitté mes parents, mes frères et sœurs et j’ai rejoint l’équipe des TM de l’Immaculée, à Nouméa.

Mes premiers pas dans l’équipe missionnaire ont été compliqués : j’arrivai d’une famille Wallisienne catholique très simple. Du jour au lendemain, je suis retrouvée à devoir vivre avec des jeunes Françaises dont la culture était tout-à-fait différente de la mienne. Je me souviens un jour m’être levée de table sans manger le potage ou l’œuf au plat…  Mes sœurs Françaises respectaient ma personnalité de polynésienne, avec ma fleur de tiaré à l’oreille et mes faiblesses quotidiennes. Leur patience, leur bonté, m’ont aidée à donner le meilleur de moi-même.

Antonina, tu as été en mission en Amérique Latine, en Argentine, au Pérou. Tu as aussi longtemps travaillé à Paris. Quels souvenir en gardes-tu ?  

Après mon engagement définitif, j’avais alors 25 ans, et comme on dit : « L’amour n’a pas de frontières », j’ai été nommée en Argentine. Je me retrouvai dans une équipe dynamique, d’une quinzaine de TM de l’Immaculée, de tous âges. J’étais la plus jeune et la plus âgée avait 50 ans. Là, j’ai expérimenté la force de notre beau témoignage de prière, de vie de famille, la joie de mettre tout en commun.

Je me souviens qu’entre deux coups-de-feu en cuisine, nous trouvions encore le temps de chercher comment faire plaisir à toute la communauté, durant nos jours de fermeture ou de repos. Je dois dire que les plus âgées n’attendaient que ça et l’appréciaient beaucoup. Je me souviens avoir joué la vie de Saint Ignace de Loyola avec d’autres TMI. C’était un vrai bonheur ! La mission en Argentine me passionnait.  Les jeudis, on accueillait les enfants des quartiers pauvres pour le catéchisme et on organisait avec eux des jeux autour d’un thème et avant de les renvoyer, on leur offrait un super goûter dînatoire. Ces formations pratiques m’ont préparée à une nouvelle mission au Pérou, à Lima et des années plus tard, à celle de Paris.

Au Pérou, j’ai été formée par la simplicité, la gentillesse des gens et la grande pauvreté matérielle. Un jour, un enfant du catéchisme m’a demandé de l’accompagner chez lui parce, que, m’a-t-il dit, chez moi, on ne connaît pas les sœurs comme vous ! Nous avons marché longtemps pour arriver chez lui : une cabane faite de cartons, au milieu de la pièce en terre battue, une marmite remplie d’eau avec quelques graines de riz, une carcasse de poulet pour donner un peu de saveur… L’enfant regardait la marmite bouillir avec bonheur. Le père de famille n’a pas dit un mot. Il était simplement honorée qu’une religieuse soit venue chez eux.

Si tu savais comme j’ai aimé ces pays avec leurs cultures, leurs habitants ! J’ai même supplié le Bon Dieu de suggérer à mes responsables de rayer mon nom de leur liste de nominations. Mais de même que l’on ne choisit pas sa famille, on ne choisit pas son pays de mission.

Un jour, alors que je ne m’y attendait absolument pas, j’ai reçu un courrier m’annonçant que mes sœurs de Paris m’attendaient. À l’instant  même, j’ai dit OUI, et aussitôt, j’ai été envahie d’une grande paix. Pour moi, le Christ me devançait. Désormais, je n’avais qu’une hâte : partir ! Ma joie c’est d’être toujours avec Jésus parce qu’à partir de là je suis sûre d’être aimée de la Sainte Trinité.

Partir à 20 ans, 25 ans, c’est une chose, mais se remettre en jeu et tout recommencer à 38 ans, comment ça se passe ?      

Le Saint Esprit m’a enseignée à ne pas m’installer. Il m’a, en quelque sorte, évangélisée en me faisant rencontrer des hommes et des femmes du monde ouvrier parisien et partager leur quotidien. J’ai expérimenté qu’être apôtre du Christ dans un milieu de travail, n’est pas une évidence. Pendant sept ans, j’ai suivi des formations à l’Ecole Cathédrale pour être en mesure de répondre aux attentes spirituelles de mes compagnons travailleurs. J’ai participé volontiers aux groupes de réflexion qui se sont formés instantanément sur la paroisse, dans le but d’échanger avec d’autres travailleurs sur les défis d’être chrétien et apôtre dans son milieu de travail.  

Actuellement, avec mes sœurs, nous sommes sommes toujours à l’école de Jésus qui faisait le Bien partout où Il passait (cf. Mc 1,29). Par l’écoute, l’amitié, le service, la prière et la distribution des invendus d’une boulangerie du quartier, nous approchons les gens de la rue dans notre quartier. Nous sommes attentives aux pauvretés « invisibles » autour de nous : les personnes âgées seules, les familles étrangères, désorientées qui ont un membre en fin de vie dans les hôpitaux de Paris. Les vide-greniers sont aussi des occasions de témoigner de notre foi, de donner un sourire, une parole d’encouragement, tout comme mes visites aux prisonniers à qui je propose de cultiver le pardon. Tout est occasion de donner l’Eau Vive.  

Antonina F., TM de l’Immaculée à Paris